L’heure est venu de défendre vos droits! (« Debout pour vos droits ! ») plutôt que de vous asseoir (« Levez-vous, ne vous asseyez pas ! ») pour tituber l’adversaire plutôt que de le faire danser (« Swing, not sing ! »). Carmichael pense que les Noirs doivent prendre le contrôle de leur communauté et créer leurs propres organisations sans prendre l’avis des Blancs. Si les activistes afro-américains ne revendiquent pas l’indépendance, ils revendiquent le droit à l’autodétermination et la sortie du modèle impérialiste et capitaliste américain ! Influencé par les indépendances africaines et la révolution cubaine, le mouvement Black Power prend ainsi des allures de révolution noire socialiste et internationaliste.
En octobre 1966, à Oakland (Californie), la création du Black Panthers Party for Self-Defense (BPPSD) consacre cette philosophie de la résistance par tous les moyens. Ses fondateurs, Bobby Seale et Huey P. Newton, bientôt rejoints par Carmichael, s’inspirent de Malcolm X, ainsi que des idéologies marxistes et maoïstes révolutionnaires, pour émettre un programme en 10 points. Les Panthères exigent la liberté et l’autodétermination de la communauté Noire après un plébiscite organisé sous la tutelle des Nations Unies, le plein emploi, la fin de l’exploitation capitaliste, l’amélioration des conditions de logement et la mise en place d’une politique éducative répondant aux attentes de la communauté.
Exigeant le port d’armes conformément à la Constitution et en réponse à la brutalité policière, les Panthères exigent l’exemption de tous les hommes Noirs du service militaire, la libération des Noirs emprisonnés, la mise en place de tribunaux mixtes et un programme d’activités sociales complètes. Nourris par la lecture de Frantz Fanon, les Black Panthers s’engagent dans la révolution mondiale en défendant la thèse du colonialisme interne frappant les Noirs des États-Unis. Tous les indicateurs économiques et sociaux révèlent effectivement que l’existence d’importantes poches de pauvreté à l’intérieur des États-Unis n’est que l’extension au reste du monde des structures internes de ce pays, et que les Noirs forment le groupe qui, au cours du XXe siècle, incarnait le mieux la tradition de lutte et de résistance aux États-Unis.
Vivant en tant que peuple colonisé à l’intérieur des États-Unis, les Black Panthers s’organisent en une contre-société. Comme les mouvements de libération du Vietnam, de l’Angola ou de la Guinée-Bissau, ils ont fondé leurs propres troupes d’autodéfense, leurs propres écoles et hôpitaux, et même leur propre (gouvernement). Défiant Washington de l’intérieur même des États-Unis, les Black Panthers ont rapidement attiré l’attention des gouvernements du tiers monde et des mouvements de libération. En juillet 1969, ils sont officiellement invités par le gouvernement algérien dans le cadre du premier Festival culturel panafricain. Guidés à Alger par la militante panafricaine Julia Hervé – fille de l’écrivain Richard Wright – les militants de Black Panther participent aux conférences aux côtés de représentants des mouvements de libération qui à l’époque luttaient contre le colonialisme en Afrique lusophone et en Afrique australe.
Faisant partie de la lignée de Malcolm X, ils se présentent comme les représentants légitimes de la lutte de libération des Noirs américains. (Les Algériens, qui ont mis fin à leur guerre d’indépendance il y a seulement 8 ans, jugent naturel de soutenir d’autres mouvements de libération, note le New York Times. Ils veulent jouer un rôle moteur dans une Afrique complètement décolonisée. Ils veulent aussi reconnaître tous les mouvements hors d’Afrique qui, comme les Panthères, luttent contre des États qu’ils considèrent comme impérialistes ou fascistes). Présentés par le gouvernement algérien comme (le noyau d’un futur gouvernement américain), les Black Panthers disposent, dans les mois qui suivent le festival, d’une ambassade officielle dans la capitale algérienne.
Le parcours de Stokely Carmichael est également intéressant. Ayant pris ses distances avec le mouvement, il s’installe en Guinée-Conakry à la fin des années 1960 avec sa femme, la chanteuse sud-africaine Miriam Makeba. Le couple se passionne pour le panafricanisme au contact de Sékou Touré et de Kwame Nkrumah, qui ont trouvé refuge à Conakry après le coup d’Etat qui l’a chassé du pouvoir en 1966. Notre idéologie doit être le panafricanisme, et rien d’autre, dit Carmichael, après avoir dévoré les écrits de Padmore et Du Bois et la littérature consacrée à Marcus Garvey. Convaincu que le vent de l’histoire fera triompher l’idéologie panafricaine, il développe ses théories dans un livre paru en 1971, (Stokely Speaks Black Power Back to Pan-Africanism), adopte sept ans plus tard un nouveau nom, Kwame Touré, en hommage à ses 2 mentors, et a repris le Parti Révolutionnaire des Peuples Panafricains (All-African People’s Revolutionary Party, A-APRP) lancé à Conakry par Nkrumah en 1968.
La contestation menée par les Black Panthers aux États-Unis et les alliances qu’ils scellent avec les gouvernements révolutionnaires du monde entier inquiètent les dirigeants américains. Dès la fin des années 1960, le FBI déchaîne une répression féroce dans le cadre de son programme de contre-espionnage (COINTELPRO). Ils infiltrent les Panthères, tentent de les discréditer dans la presse, emprisonnent ou assassinent certains de leurs dirigeants, forcent les autres à fuir à l’étranger, à abandonner le combat ou à revenir à des méthodes moins radicales.
Alors que la crise économique conduit les autorités à réduire les programmes d’actions positives en faveur des Noirs, la drogue envahit les ghettos et affecte une jeunesse livrée à elle-même tandis qu’une petite bourgeoisie Noire émerge grâce aux opportunités offertes par le capitalisme basée sur une vision individualiste du succès.