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Devoir de mémoire : Interview réalisée par le journaliste suisse Jean Philippe Rapp en 1985 nommée, (Oser inventer l’avenir), publiée en 1986 sous le titre (Sankara, un nouveau pouvoir Africain); « Rapp – Mais que feriez-vous sans l’aide internationale et les prêts d’ajustement structurel ? »; Sankara – en 1983, lorsque nous sommes arrivés au pouvoir, les caisses de l’État étaient vides ! Le régime que nous avons renversé avait négocié et obtenu de la France un prêt d’ajustement structurel de environ 3 milliards de francs CFA ! Après plusieurs négociations, ce prêt a été remis dans notre plan ! Ce n’était pas facile, mais depuis je peux vous dire que personne ne nous a rien prêté, ni la France ni personne d’autre ! Nous n’avons aucune aide budgétaire

Rapp :

  • Comment, dans ces conditions, éviter un déficit budgétaire ?

Sankara :

  • On comble ce trou en l’empêchant d’exister (…) c’est-à-dire en empêchant qu’il y ait une différence. Nous avons réduit les salaires. Les cadres ont perdu jusqu’à un mois de revenu. Les fonctionnaires ont dû renoncer à une partie de leurs indemnités, ce qui, vous l’imaginez, n’est jamais le bienvenu nulle part. Ces sacrifices, nous les imposons aux membres du gouvernement, à qui nous menons une vie très modeste. Le ministre enseignant reçoit son salaire d’enseignant, le capitaine président, celui de capitaine, rien de plus.

Rapp :

  • La vertu de l’exemple ??

Shankara :

  • Oui! Imaginez qu’autrefois, dans ce pays, on parlait d’instaurer le treizième, voire le quatorzième mois de salaire… Pendant ce temps-là, des gens mouraient parce qu’ils n’avaient pas pu acheter un petit comprimé de Nivaquine (…) Savez-vous aussi que les Burkinabè recevaient des indemnités de dépaysement dans leur propre pays, des indemnités de soleil ? D’autres avaient des salaires de 2 à 300 000 CFA pour simplement faire fonctionner des syndicats, et ils réclamaient des augmentations de salaire malgré les sommes colossales qu’ils recevaient ! Il fallait demander des sacrifices, c’est-à-dire la transformation des mentalités. Et nous ne sommes pas au maximum de nos possibilités. Ce n’est qu’un pas, il faudra en franchir d’autres.

Rapp :

  • Mais dans cette situation, est-il possible d’envisager un quelconque investissement ??

Sankara :

  • Par ces baisses de salaires, cette réduction du train de vie, mais aussi en gérant mieux ce que nous avons, en évitant les détournements, nous avons réussi à générer quelques profits qui nous permettent de faire des investissements modestes. Mais ils témoignent déjà de la nécessité pour nous de poursuivre ces efforts. Notre budget est établi une fois par an, mais chaque trimestre nous faisons le point et faisons des comparaisons, ce qui vous indique à quel point nous sommes proches de nos sous. Chiffres si vous voulez : au premier trimestre 1983, le budget pour lequel nous étions déjà quelque peu impliqués dans le cadre du CSP, mais sur lequel nous n’avions pas la haute main ce budget présentait un déficit de 695 millions de francs CFA. Au premier trimestre 1984, ce déficit n’était plus que d’un million de francs CFA, alors que nous avions eu la possibilité de le constituer et de le gérer nous-mêmes. Au premier trimestre 1985, ce n’est plus un déficit mais un excédent de 1 milliard 985 000 FCFA qui apparaît, et nous continuerons ainsi.

Rapp :

  • Oui, mais à quel prix ??

Sankara :

  • En serrant sur tout. Ici, il est interdit d’écrire uniquement au verso d’une feuille. Nos ministres voyagent en classe économique et n’ont que 15 000 francs CFA par jour de dépenses. Pour moi aussi la situation est la même, mais la fonction de chef de l’Etat offre cet avantage qu’on s’occupe de vous quand on vous accueille à l’étranger. Notre ministre du Travail s’est rendu il y a quelque temps à Genève, pour une conférence internationale. Vous êtes bien placé pour savoir qu’avec ses 15 000 francs CFA d’indemnité journalière, il ne pouvait envisager de rester là-bas. Il dut se rendre en France voisine et partager un logement modeste avec ses collaborateurs. Il n’y a pas de honte à cela. Peut-être même ces conditions lui auront-elles permis d’accomplir sa mission encore mieux que s’il avait été logé dans un palais. Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.

Source : Thomas Sankara Parle !

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