KONGOLISOLO
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HAÏTI : l’importance relative du rôle des Kongos dans la Révolution haïtienne, compare a celui des trois autres grands groupes culturels distingues plus haut ?

Comme nous l’avons déjà avance plus haut, ils ont joue, tantôt en confrontation, tantôt en collaboration, un rôle de premier plan dans l’embrasement de la scène coloniale. Ils se sont fait remarquer dans la première insurrection générale pour la liberté (1791-1793) comme dans la seconde insurrection pour l’indépendance (1802-1803)

Ils fournirent au mouvement insurrectionnel ses forces combattantes décisives, dans le Nord notamment, foyer de l’insurrection, ou ils représentaient 60 % des Bossales. Ils furent les premiers à entrer massivement en insurrection, nommément pour l’indépendance, après la déportation de Toussaint Louverture en 1802, quand l’armée expéditionnaire de Napoléon, commandée par le général Leclerc, eut entrepris le désarmement des cultivateurs. Ils avaient bien senti que c’était le prélude au rétablissement de l’esclavage. Ils fournirent aussi a la révolution des dirigeants de forte conscience ethnique et de volonte d’autonomie manifeste. On connaît la réponse de Macaya a Sonthonax en 1793. Le Commissaire civil français avait invite le chef Kongo a passer avec sa petite armée d’insurges au service de la France révolutionnaire, contre l’envahisseur royaliste espagnol ; il lui avait promis la liberté en retour, pour lui et ses hommes. Makaya rejeta l’offre, parce qu’il ne voulait pas, expliqua-t-il, avoir à combattre ses frères, qui se trouvaient dans les deux camps : j’ai trois rois, celui du Kongo qui est le roi de tous les Noirs, celui de la France qui est mon père, et celui de l’Espagne qui est ma mère (Madiou 1847, II).

Aux Kongos, la direction de la lutte contre l’oppression coloniale ?

Le roi du Congo, roi de tous les Noirs ! Cette prétention était-elle une manière de revendiquer la suprématie pour les sujets de ce roi a Saint-Domingue ? Quoi qu’il en soit, on assista, au cours de la guerre d’indépendance, a une vive lutte pour le commandement suprême de la révolution entre Kongos-Bossales et Créoles. Sans-souci, Makaya, le plus influent des chefs insurges du Nord, fut le premier à se faire appeler general en chef. Après lui, Lamour Derance, originaire du golfe de Guinée, auparavant chef de la société marronne indépendante du Morne La Selle, prit le titre de general en chef des departements de l’Ouest et du Sud ; il commandait, écrit l’historien Thomas Madiou, a des bandes d’Aradas, d’Ibos, de Haoussas, de Kongos, organisées sur une base ethnique. Enfin Dessalines, ancien général de division créole, se proclama plus tard général en chef de l’armée independante, après que les officiers noirs et mulatres des troupes coloniales, jusque-là au service du corps expéditionnaire français, eussent rallie l’insurrection populaire generalisée. Selon lui, le commandement suprême lui revenait de droit. Les Kongos avec Makaya, de leur cote, ne voulaient pas reconnaître la suprématie des anciens généraux des troupes coloniales, qu’ils regardaient comme des traîtres a la cause des Noirs. Ces officiers créoles s’étaient soulevés après eux, après qu’ils les eussent pourchasses au nom de la France.

Kongo, une dénomination générique

Les Créoles gagnèrent finalement la bataille pour la suprématie militaire et politique. Les chefs africains furent combattus sans merci. Les deux grands concurrents de Dessalines furent attirés dans des guet-apens et liquides. Sans-souci Makaya fut tue lors d’une rencontre proposée par Christophe, qui voulait, prétextait ce dernier, s’aider des lumières du chef Kongo pour l’organisation des bandes du Nord. Lamour Derance fut assassiné alors qu’il passait en revue, sur invitation, des troupes fidèles a Dessalines, qui avaient feint de se placer sous l’autorité du général en chef africain. Sans-souci Makaya avait pourtant fini par faire sa soumission au général en chef créole. Mais Dessalines avait résolu, selon ses propres mots, de faire rendre le dernier souffle a la faction expirante des Kongos . C’est dans ce contexte de chasse aux chefs africains que deux leaders Kongos du Nord, Gagnent et Jacques Tellier, en vinrent a persuader leurs partisans qu’il était de l’intérêt des Africains de se soumettre plutôt aux Français qu’a Dessalines qui avait jure leur extermination. Leur soumission a l’ennemi blanc eu pour résultat de ramener le drapeau français dans les quartiers a prédominance Kongo et d’entraver dans le Nord les mouvements des troupes fidèles a Dessalines. L’image du Kongo soumis et traître a peut être été forgée a ce moment-la dans les rangs de l’armée indigène, au niveau de ses couches dirigeantes créoles. C’était de bonne guerre : les deux parties aux prises s’accusaient mutuellement de trahison, ajoutant chacune l‘arme idéologique a sa panoplie militaire.

Il est à noter, cependant, que le terme dépréciatif Kongo est une catégorie supra-ethnique, synonyme Africain ou de Bossale. C’est dans le cadre de la lutte pour la suprématie politique qu’apparut cette catégorie idéologique indifférenciée. Le mot Kongo dans la bouche des dirigeants créoles, désignait alors, dans un sens péjoratif, les bandes d’insurges nés en Afrique et commandes par des chefs africains indépendants de la direction créole de la Révolution Le Kongo,c’est le Bossale; inférieur au le Negre africain sur qui le Créole avait, dans l’imaginaire colonial, un droit naturel de superiorite. Dans le cadre de la lutte entre chefs créoles et chefs africains pour la suprématie politique, l’image dépréciative du Kongo servait a isoler politiquement les chefs africains des masses africaines majoritaires dans la population esclave. Mais comment expliquer la perpétuation de cette image dans la mémoire collective haïtienne ? Quelle a été sa fonction dans la société post coloniale ?

Imposer les lumières créoles à l’ignorance africaine

La nouvelle Haïti indépendante issue de la Révolution de Saint-Domingue a reproduit la structure et les rapports sociaux de l’Ancien Régime colonial, de même que ses pratiques exclusives et oppressives. Une minorité de propriétaires et d’administrateurs sont devenus les nouveaux maîtres du nouveau pays et le système de plantation a été conserve, les cultivateurs, rives aux plantations, forces au travail, soumis a la discipline militaire, ont été prives d’instruction et se sont vu interdire de pratiquer leur culte vaudou. Ces mesures eurent pour effet une triple exclusion économique, politique et culturelle de la majorité cultivatrice et la mise en place d’un Etat oligarchique militaire. Aux mesures de re-asservissement et d’exclusion, le cultivateur répondit par le marronnage, comme jadis sous le regime colonial. Il fuyait la plantation et la plaine, et se réfugiait dans les mornes a la recherche d’indépendance et de liberté réelle. 

C’est ainsi que s’est formée, durant la première moitie du XIXe siècle, la paysannerie haïtienne, plus ou moins autarcique (Blancpain 2003 ; moral 1961). Aussi Madiou, premier historien haïtien, a-t-il pu représenter en 1847 la nouvelle Haïti comme une société partagée entre deux catégories sociales distinctes quant à la culture, sinon la nature. L’une, se donnant pour l’élite instruite, composée surtout de Créoles et habitant la ville, s’est rangée sous le pavillon de la civilisation européenne. L’autre, donnee pour la masse; ignorante, composée surtout de laboureurs africains habitant la campagne, est supposee etre restee sous l’impression des mœurs africaines (Madiou 1847, II : 157).

Le cultivateur opposa aussi d’autres formes de résistance à l’oppression. Durant les années 1840, les paysans du Sud se soulevèrent et revendiquèrent de la terre pour leurs jardins, des écoles pour leurs enfants et la fin de l’usure pratiquée par le commerce urbain. Pour combattre le danger d’anarchie appréhendée, l’oligarchie élabora la théorie du pouvoir naturel de l’élite éclairée. Un autre historien haïtien de la même époque la formula dans un énoncé saisissant.

Les hommes instruits, eclaires, d’une nation quelconque, doivent. Avoir la direction de ses affaires : ils forment la tête du corps social, les masses n’en sont que les membres qui exécutent les déterminations de la volonté. Renversez cet ordre naturel, dicte par la raison, et il n’y aura qu’une confusion anarchique dans la société civile (Ardouin 1854, V : 60).

C’est en vertu de cet ordre naturel , comme le justifia Ardouin, que Dessalines, Christophe et Petion, les chefs créoles de la guerre d’indépendance, se crurent obliges de soumettre par la ruse et la force Lamour Derance dans l’Ouest et les chefs de bande Congo dans le Nord. Ces chefs africains répugnaient à reconnaître aucune supériorité, non seulement dans les mulâtres, mais même dans les noirs qui n’étaient pas nés comme eux en Afrique tout créole, a leurs yeux, était indigne de commander en chef. 

Ils devaient (donc) subir le joug que les lumières doivent toujours imposer à l’ignorance, dans ses propres intérêts. Peut-être, at-il concédé pour alléger la brutalité de son jugement, que sous un certain rapport, on doit excuser ces hommes ignorants car. Tandis qu’ils se levaient partout contre les Français, les chefs et les troupes coloniales servaient d’auxiliaires à ceux-ci et les. Traquaient dans les bois, sans qu’ils puissent comprendre leurs. Motifs secrets. L’initiative de la résistance a l’oppression. Européenne leur étant due, il était naturel qu’ils eussent cette. Ambitieuse prétention. Mais il est évident que chacun d’eux, voulant l’organiser selon les idées bornées qu’ils tenaient de la tribu africaine, a laquelle ils appartenaient dans leur pays natal. Ils ne seraient jamais parvenus à s’entendre (60).

Fonction sociale de l’image dépréciative de Kongo.

Soulignons, en guise de conclusion, la fonction sociale de l’image dépréciative du terme Kongo dans la société haïtienne post coloniale. L’analyse fait découvrir un Kongo complexe et contraste, a la fois apparemment pliable à l’esclavage colonial et réellement porte au marronnage, entre parmi les premiers dans la guerre pour l’indépendance et pousse, pour sa survie, a la veille de la victoire, du cote de l’ennemi colonialiste-esclavagiste. L’image post coloniale du Kongo soumis pret a la trahison a ete produite sur la base de ces faits grossis en legendes par la raison politique. 

Elle fut construite au cours de la guerre d’indépendance dans la dynamique de la lutte de pouvoir entre les divers groupes d’insurges, pour la direction de cette guerre. Reprise et cultivée par la suite, pour la suprématie politique de la minorité au pouvoir dite l’élite eclairee, l’image du Kongo – de l’Africain, s’entend – prêt a la soumission et a la trahison a pu se perpétuer dans la nouvelle société haïtienne, ou la majorité travailleuse d’origine africaine a été soumise à la domination de la minorité créole possédante et dirigeante. Cette image dépréciative jouait une fonction nécessaire, celle de contribuer a la légitimation du système oligarchique mis en place au lendemain de l’indépendance d’Haïti, en le donnant pour un ordre naturel. 

Aujourd’hui, la fonction de justification et de légitimation de l’image dépréciative du terme Kongo a beaucoup perdu de sa pertinence et de son efficacité. L’image survit cependant à sa fonction sociale, comme une légende incontrôlée d’un auteur anonyme : un Kongo imaginaire s’est superposé au Kongo réel.

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