Constatant que des mutineries éclatent en juin 1965 à la veille d’une tournée dans la région du chef de la diplomatie chinoise Zhou Enlai, Nyerere décide de renforcer ses relations avec la Chine et d’expulser les troupes britanniques et obtient de l’OUA l’envoi d’un contingent de Des soldats nigérians le temps de fonder une armée nationale. Réélu triomphalement, Nyerere décide en décembre 1965 de rompre les relations diplomatiques avec la Grande-Bretagne suite au refus de Londres de condamner la déclaration unilatérale d’indépendance du pouvoir Blanc en Rhodésie. Immédiatement, Londres se fige et promet une aide financière à la Tanzanie.
S’éloignant peu à peu des puissances occidentales, Nyerere décide d’approfondir sa politique progressiste et originale inspirée du socialisme et des valeurs de solidarité africaines (Ujamaa). En février 1967, Nyerere rompt explicitement avec le modèle néocolonial en prononçant la déclaration d’Arusha, un programme qui entendait faire de la Tanzanie un État socialiste, non aligné et autosuffisant, engagé militairement dans les mouvements de libération Africains. Le concept clé du programme de Nyerere est celui de l’autosuffisance, qui vise à rompre avec les modèles de développement extravertis qui maintiennent les Noirs/Africains, et l’Afrique en général, dans une situation de dépendance vis-à-vis des gouvernements, des investisseurs étrangers et des prêteurs.
La déclaration d’Arusha appelle ainsi les Noirs/Africains à rompre avec l’idée que le développement peut se faire avec le capital et les techniques des autres : (Jusqu’ici, nous avons utilisé une arme inadéquate pour la lutte que nous menons parce que nous avons choisi l’argent comme moyen de Nous essayons de sortir de notre état économiquement faible en utilisant des armes économiquement fortes – des armes que nous ne possédons d’ailleurs pas). C’est donc en utilisant leurs propres armes – leur propre travail, leur propre savoir, leurs propres traditions – qu’ils pourront améliorer leurs conditions de vie et sortir de la misère entretenue par le système économique international.
Pendant dix ans, la Tanzanie est devenue le laboratoire d’une expérience politique socialiste, inspirée du communautarisme Africain à l’échelle nationale. Conçue comme une (guerre contre la pauvreté), la politique de Nyerere a suscité un grand enthousiasme dans le reste du continent et parmi les experts internationaux, qui ont compris à l’époque qu’un pays, même politiquement indépendant, ne pouvait poursuivre une politique de véritable développement sans rompre avec le logique de dépendance économique. (Nyerere sait qu’il s’est engagé dans une voie audacieuse mais difficile, notez par exemple René Dumont et Marcel Mazoyer en 1969. Son courage mérite de grands compliments car il peut nous apporter des éléments irremplaçables pour la construction d’une nouvelle société, et pas seulement en Afrique, mais il ne doit pas se prendre pour un homme providentiel, il doit donc confronter chaque jour ses théories aux réalités de son vaste pays).
De fait, si la politique de Nyerere permet de diffuser une culture d’autonomie, elle se solde par un cinglant échec économique que Gilbert Rist, spécialiste des questions de développement, explique entre autres par l’autoritarisme de certaines mesures, à commencer par la mise en place de (regroupement de villages) qui a bouleversé les modes de vie des paysans, et par l’isolement de la Tanzanie sur le plan international. S’il a compris l’essentiel, Nyerere a surestimé la capacité de son pays à sortir de l’économie de marché dans l’isolement (ce qu’il reconnaît d’ailleurs lui-même).
Quelles sont les chances réelles de succès d’une politique visant à l’autonomie dans un seul pays ? demande Rist. Alors que le système repose sur la division internationale du travail et la multiplication des échanges, est-il vraiment possible d’en sortir pour mener, isolément, une politique totalement différente ?? la réponse est probablement Non. En revanche, la réponse serait tout autre si l’autosuffisance pouvait atteindre le même degré de généralisation que le système de marché. Encore une fois, le problème n’est pas tant la politique de Nyerere que le manque de volonté ou l’incapacité des autres pays Noirs/Africains à suivre avec lui cette voie alternative.