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Devoir de mémoire – Dans leurs écrits, Kwame Nkrumah et Cheikh Anta Diop expliquent l’intérêt de mutualiser les ressources financières, humaines et matérielles du continent pour mener une politique de développement conduisant à l’autosuffisance, voire à l’exportation des produits Africains vers le reste du monde : l’Afrique possède en effet toutes les sources d’énergie, tous les minerais et tous les climats favorables pour constituer une puissance agricole, minière et industrielle; mais elle ne peut y parvenir qu’en sortant du système concurrentiel d’inspiration libérale qui empêche les États de coordonner leurs politiques économiques et leurs efforts productifs; ainsi, l’économiste Kamerounais Osende Afana – qui est aussi un militant de l’UPC – note que les pays ouest-africains dépendants de la monoculture du cacao doivent passer d’une concurrence stérile organisée par le marché international à une complémentarité inscrite dans un marché intra-africain; « Nous ne pouvons pas être développés par d’autres »

Dans (Comment l’Europe a sous-développé l’Afrique), Walter Rodney souligne pour sa part que les sociétés Noires/Africaines, peu hiérarchisées avant l’arrivée des Européens, n’avaient aucune raison d’embrasser volontairement un système générateur d’inégalités comme le capitalisme. C’est leur entrée forcée dans l’économie esclavagiste et coloniale qui a engendré de nouvelles inégalités et transformé les Africains en une classe de travailleurs exploités et dominés à l’échelle internationale. Aussi, l’économie classique qui régit le système néo-colonial feint d’ignorer que l’organisation économique et commerciale de l’Afrique actuelle n’est pas le résultat d’un processus de développement traditionnel, c’est-à-dire propre à l’historicité des sociétés africaines, mais le résultat de contradictions héritées de la période coloniale et perpétuées après l’indépendance.

Constatant que les (modèles de développement) imposés par leurs créanciers, qui postulent que l’Afrique ne peut se développer qu’en suivant les étapes franchies avant l’Europe et les États-Unis, sont erronés, de nombreux gouvernements africains s’étaient tournés vers le modèle soviétique. D’autres, conscients que le système soviétique ne fonctionnait plus, tentent de développer des modèles de développement endogène. C’est ce que Julius Nyerere a tenté à la fin des années 1960, avec – comme il l’avouera plus tard – assez peu de succès. C’est aussi dans cette lignée que l’on peut classer Thomas Sankara, arrivé au pouvoir en Haute-Volta au début des années 1980. Comme Julius Nyerere, Sankara estime que l’Afrique doit apprendre à se battre avec ses propres armes.

Formé à l’académie militaire d’Antsibaré à Madagascar au début des années 1970, Sankara est devenu un lieutenant populaire dans l’armée de Haute-Volta. Nommé secrétaire d’État à l’Information en septembre 1981, il démissionne au bout de 7 mois, lançant une formule cinglante : (Malheur à ceux qui bâillonnent le peuple !). Devenu Premier ministre en 1983, il prononce un discours contre le néocolonialisme au sommet des pays non alignés à New Delhi, puis commet l’erreur diplomatique, aux yeux de la France, de recevoir le colonel Mouammar Kadhafi à Ouagadougou en avril. Le mois suivant, il est arrêté, avant de revenir au pouvoir le 4 août 1983 lors d’un coup d’État militaire. Très vite, il engage son pays dans la dynamique des expériences révolutionnaires menées en Afrique et en Amérique du Sud.

Annonçant (une société nouvelle, débarrassée de l’injustice sociale et de la domination impérialiste, la révolution burkinabé vise avant tout une transformation des mentalités et de la conscience nationale). Voyant que 40% du budget national dépend de l’aide française, Sankara souligne dans ses discours qu’un pays ne peut être développé par d’autres sans perdre son identité. Il décide de limiter les crédits et l’aide étrangère pour favoriser le développement endogène en imposant à son peuple une austérité doublée d’une mobilisation politique.

Á l’heure où les pays Africains sont en proie à la corruption et où leurs dirigeants multiplient les dépenses de prestige, Sankara décide d’en finir avec le luxe ostentatoire et les privilèges matériels liés aux fonctions publiques et politiques. Dans tout le pays, des comités de défense de la révolution (CDR) – à l’image de ceux mis en place par le régime castriste à Cuba – organisent des débats politiques, tandis que s’organisent des structures agricoles, commerciales et économiques. créé au sein de la population. La révolution sankariste invite ainsi les Burkinabés au patriotisme économique. Le mot d’ordre nationaliste de (l’Afrique aux Africains) est alors décliné dans la sphère économique et dans une perspective anti-impérialiste : (consommer ce que l’on produit et produire ce que l’on consomme). Consommer Burkinabé devient un acte de résistance qui permet de développer l’agriculture locale et de réduire les crédits ou aides liés aux importations. En encourageant le port du tissu traditionnel, le faso dan fani, la révolution permet à des milliers de femmes de retrouver une activité professionnelle dans le tissage.

Ponctuant chacun de ses discours de la nouvelle devise, (La patrie ou la mort, nous vaincrons !) Egalement inspiré par la révolution cubaine, Sankara estime que les Africains doivent réapprendre à aimer leur continent et à en être fiers, comme pour les Noirs. de retour des Amériques, ce contact avec la patrie est essentiel pour s’enraciner et s’ouvrir au monde. Pour Sankara, ce problème implique évidemment une réforme agraire et une redistribution des terres afin que les revenus agricoles profitent au plus grand nombre. Mais il porte aussi une dimension environnementale. Pays enclavé, aride, sans grandes richesses minérales, sujet aux sécheresses et aux pénuries alimentaires, le Burkina Faso de Sankara devient le premier pays africain à mener la lutte contre la dégradation des sols, la déforestation, l’avancée du désert, et les conséquences de l’industrialisation et de l’urbanisation sur le développement et l’environnement. Prétendant que (l’impérialisme est le pyromane de nos forêts et de nos savanes), il crée l’un des tout premiers ministères en Afrique dédié à l’environnement et lance des campagnes nationales pour lutter contre l’exploitation forestière excessive, les feux de brousse et la divagation des animaux.

Pour construire le (pays des hommes intègres), Sankara vulgarise la pratique du sport et des arts, affirmant notamment, en référence au FESPACO, que le combat pour (conquérir nos écrans) nécessite d’occuper l’espace culturel et idéologique du cinéma, sous peine de laisser les adversaires s’en emparer. Une Union des femmes burkinabé est créée pour lutter contre l’excision et la polygamie et pour aider à la réinsertion et à la reconversion des prostituées. Les campagnes de vaccination rassemblent les enfants de tous les pays voisins du Burkina Faso et les taux de scolarisation continuent d’augmenter. « Suivant les enseignements de Frantz Fanon, qui savait qu’un nouveau pays ne pouvait émerger (des muscles et des cerveaux des citoyens), et de Nyerere, pour qui (le travail acharné est la racine du développement), Sankara demande au peuple de participer concrètement à la construction de nouvelles infrastructures (puits, écoles, hôpitaux, routes). Quand la Banque mondiale refuse de financer le chemin de fer reliant Ouagadou à Tambao, dans le nord du pays, et prévoyant deux rampes vers le Niger et le Mali, Sankara ne baisse pas les bras. Au lieu de se tourner vers la Chine, qui avait construit le chemin de fer reliant la Tanzanie à la Zambie, il a mobilisé les siens dans la (bataille ferroviaire) pour tenter de réaliser cette infrastructure ».

Les réformes impulsées par la révolution sankariste ne sont évidemment pas du goût de tout le monde. Les chefs traditionnels, les enseignants, les militaires et un certain nombre de syndicalistes sont de plus en plus hostiles à un processus qui entraîne des baisses de revenus et bouleverse les structures du pouvoir. À l’étranger aussi la politique de Thomas Sankara irrite : les grandes puissances comme les gouvernements voisins s’inquiètent de voir se développer, au cœur de l’Afrique, un régime alternatif qui les remet directement en cause.

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