Les premiers responsables de ces idées nécrophores étaient les expatriés coloniaux basés en Afrique (enseignants, administrateurs, soldats, missionnaires, entrepreneurs, explorateurs et anthropologues). Et pour tenter de comprendre pourquoi et comment ces images se propagent en toute légalité à cette époque, tant et si bien que la masse soit parvenue à les accepter dans son quotidien, il est nécessaire de revoir le contexte socio-économique et in-fine, la condition des Noirs du 18ème et du 19ème siècle. Histoire d’y croire.
Certains pans de l’histoire semblent avoir cette fâcheuse tendance à se répéter tout en se présentant comme des phénomènes nouveaux. Ainsi, quand l’esclavage aura été soi-disant aboli, ce sont de nouvelles formes d’humiliation et de servitude qui verront subtilement le jour dans divers domaines. C’est le cas dans l’industrie de la carte postale qui connaîtra un essor considérable entre 1870 et 1940, et où l’on assistera à une prolifération d’images racistes, véhiculant les unes comme les autres des stéréotypes totalement négatifs à l’endroit des Noirs/Africains. Les premiers responsables de ces idées nécrophores diffusés à travers les cartes postales sont les expatriés coloniaux basés en Afrique (enseignants, administrateurs, soldats, missionnaires, entrepreneurs, explorateurs et anthropologues). Pour tenter de comprendre pourquoi et comment ces images se propagent en toute légalité à cette époque, tant et si bien que la masse soit parvenue à les accepter dans son quotidien, il est nécessaire de revoir le contexte socio-économique et in fine, la condition des Noirs du 18ème et du 19ème siècle:
Si la malédiction de Cham dans la bible fut adoptée pour justifier l’esclavage en affirmant que les Noirs/Africains étaient nés pour vivre dans la servitude, la science raciale basée sur des théories évolutionnistes et eugéniques (cfr. Darwin,) selon lesquelles les Noirs/Africains n’ont pas atteint leur plein développement en tant qu’êtres humains et possèdent donc une faible intelligence, a elle aussi joué une part importante dans cette acceptation. Aussi, les philosophes des Lumières tels que Locke et Hegel propageaient sans vergogne l’idée selon laquelle le Noir n’avait pas apporté de contribution significative à l’histoire du monde et de l’humanité et ne pouvait qu’être qualifié de sauvage. On peut dire que la croissance et le développement de l’industrie des cartes postales observés entre 1870 et 1940 ont véritablement jeté les bases modernes de la propagation d’images racistes dans la culture populaire (les journaux, le cinéma et la télévision ont également joué un rôle important). Ce moyen de communication plus qu’efficace deviendra donc un instrument puissant pour agrandir la haine et l’irrespect envers les Noirs/Africains.
Pour mieux cerner le mécanisme, disons que les cartes postales étaient l’équivalent des selfies d’aujourd’hui. Elles constituaient le moyen parfait de diffusion d’idées, de pensées et d’opinions à travers les générations. Notez que les cartes postales n’étaient pas les seuls supports destinés à ce genre de représentations racistes, il y avait également les journaux, les paquets de cigarettes, les affiches publicitaires, les papiers de correspondance, les annonces, Etc. Mais il faut reconnaître que les cartes postales avaient battu tous les records de diffusion.
Imagesracistes
Le concept de la carte postale a été développé en Allemagne dans les années 1860, mais il a fallu attendre les années 1870 avec l’introduction de la technologie d’impression et le développement des services postaux pour que les cartes soient à la disposition du grand public. Et si la croissance de cette industrie a été limitée par les réglementations imposées par divers pays sur la taille des cartes et des tarifs postaux, après 1894 aux Etats-Unis et en 1902 au Royaume-Uni, ces restrictions ont fini par être levées. L’industrie était ouverte à toute personne désireuse de démarrer une entreprise et le droit d’utiliser ses propres images ou celles d’artistes photographes lui était alors attribué. En Grande-Bretagne, la plupart des cartes étaient imprimées en Allemagne, le coût de la main d’œuvre étant moins cher pour ce nouveau marché. Toutefois, un certain nombre d’entreprises dominaient l’industrie grâce à une haute qualité et une vaste gamme d’images et de produits telles que Valentine & Sons, Raphael Tuck & Sons, les éditions Detroit, Etc.
En 1909, plus de 860 millions de cartes postales étaient distribués chaque semaine par la poste britannique. Et à la fin de la Première Guerre mondiale, les cartes postales de guerre étaient le moyen de communication de masse la plus répandue, une aubaine pour les papeteries, mais elles permettaient aussi aux individus de communiquer d’une façon personnelle à leurs amis, leur famille et collègues de travail au niveau local et dans le monde entier (essentiel à une époque où l’usage du téléphone reste rare). Finalement, les cartes postales obtiendront le statut de pièces de collection, ce qui poussera bien entendu les éditeurs à en imprimer des millions. Les thèmes étaient multiples et variés : des photos d’actrices, des scènes de catastrophes ferroviaires, des façades d’églises, des images saintes, des façades d’hôpitaux et scènes de services hospitaliers, des moulins à vent, des dirigeables, de façades de magasins, de la publicité et de la propagande, des images érotiques et parfois obscènes, des topographies, Etc.
En ce qui concerne les cartes postales représentant les Noirs/Africains, elles dépeignaient souvent les colonies et leurs habitants, ou même encore des Noirs dans les métropoles. On pouvait compter :
- 1. Des scènes champêtres ou topologiques d’Afrique, des Caraïbes, d’Amérique du Sud, (mais aussi des photos de monuments célèbres tels que les pyramides d’Egypte, pour citer un exemple);
- 2. Des images de société : le style de vie des habitants (scènes de rue, du marché, la cueillette du coton, la pêche, la chasse, la vie de village, Etc);
- 3. Des scènes de la vie familiale des autochtones : généralement du chef et de sa tribu, des guerriers, des enfants qui jouent, Etc;
- 4. Des scènes de célébration des empires et des colonies : servitude des Noirs, images des missionnaires, des administrateurs coloniaux, des agents des forces armées, des hommes d’affaires en train de donner des ordres, des directives ou posant comme des êtres supérieurs face à leurs sujets noirs, Etc;
- 5. Des images humoristiques d’hommes ou de garçons Noirs/Africains dans des attitudes oisives (par exemple en train de siester ou de manger des pastèques);
- 6. Des enfants : un enfant Noir/Africain ou des enfants Noir/Africain et Blanc jouant ensemble, mais avec des légendes qui précisent l’identité de l’enfant Noir/Africain (Exemple: Jérémie jouant avec un enfant esclave);
- 7. Des scènes d’hygiène : des images d’un enfant Blanc utilisant un savon pour frotter un enfant Noir/Africain avec des légendes faisant référence à la saleté de sa Noirceur;
- 8. Des scènes de lynchages : des hommes Noirs/Africains lynchés ou battus publiquement, présentées comme des activités sportives banales, avec comme spectateurs des familles blanches;
- 9. Des personnalités sportives ou du show-business (Exemples: photos de Jack Johnson, de Joséphine Baker, de Samuel Coolridge Taylor ou des Kaffar Boys);
- 10. Des images érotiques ou obscènes de femmes Noires/Africaines comme celles de Sarah Bartman.
Certains sociologues occidentaux vous expliqueront que, pour l’époque, ces images sont publiées dans une perspective positive et tout à fait innocente.
- Elles servent à donner une dimension historique de la vie des communautés Noires/Africaines à travers le monde durant ou après l’esclavage;
- Et bien évidemment, on se doute que ces images aient fortement influencé la culture populaire dans sa perception des Noirs/Africains à l’échelle internationale;
- Et en réalité, ces cartes postales étaient volontairement et efficacement diffusées à des millions de personnes de race blanche à travers le monde, notamment en Europe où il n’y avait pas ou une faible présence de population Noire/Africaine.
Hélas, le but propagandiste purement raciste est atteint, car on constate que l’intégration et l’institutionnalisation de ces images, de ces pensées, de ces perceptions et de ces valeurs racistes sont encore actuellement reflétées dans les stéréotypes négatifs attribués aux Noirs/Africains dans la culture populaire, la science, la médecine, les médias et même dans l’éducation.
Qui aurait pu imaginer que ces images avaient joué un rôle aussi puissant ? Déconstruire ces idées suprématistes passent aussi par le fait de s’intéresser à des faits, qui aux premiers abords, paraissent comme anodins. Histoire d’y croire.
By, Natou Pedro Sakombi