En 1969, Angela Davis, alors professeure à l’UCLA, fut licenciée en raison de son appartenance au Black Panther Party et au Parti communiste. Après une tournée militante à Cuba, elle et d’autres activistes furent harcelés par les autorités françaises à leur arrivée à Basse-Terre (Guadeloupe), sous prétexte que les Portoricains qui l’accompagnaient transportaient dans leurs bagages des livres « Marxistes » provenant de Cuba. Elle échappa de justesse à l’arrestation grâce à l’intervention de l’avocate communiste Gerty Archimède, qui permit à elle et à ses camarades de quitter le territoire.
Le récit d’Angela Davis sur ce séjour mouvementé en Guadeloupe : Nous étions tous accusés d’être des agents du communisme cubain et d’importer de la propagande pour fomenter une révolution sur cette île paisible dont les habitants aimaient leurs gouverneurs français et avaient coexisté pacifiquement avec eux pendant tant de décennies. Je me suis dit qu’il aurait été formidable de pouvoir, en si peu de temps, fomenter une telle insurrection … Des hommes en uniforme sont entrés dans la pièce comme s’ils allaient nous arrêter, mais il s’est avéré qu’ils voulaient seulement les passeports qui n’avaient pas encore été confisqués. Je leur ai dit qu’ils n’avaient pas le droit de saisir nos passeports : nous n’avions été officiellement inculpés d’aucun crime.
L’un des colons annonça que nous comparaîtrions devant un juge le lendemain matin, qui lirait les chefs d’accusation et conduirait le procès. Si nous refusions de rendre nos passeports, nous risquions la prison. Imaginant l’horreur des cachots et conscients de notre isolement, sans aucun soutien sur cette île des Caraïbes, nous décidâmes de rendre nos passeports et de profiter de notre liberté pour organiser notre évasion. Grâce aux contacts du capitaine, notamment auprès de Cubains sympathisants vivant sur l’île, nous rencontrâmes une femme noire, avocate respectée et dirigeante du Parti communiste de Guadeloupe.
Madame Archimède était une femme grande, à la peau mate, au regard perçant et au courage indomptable. Je n’oublierai jamais notre première rencontre. J’avais l’impression d’être en présence d’une femme vraiment exceptionnelle. Je ne doutais pas un instant qu’elle nous sortirait de ce mauvais pas, mais j’étais tellement impressionnée par sa personnalité, par le respect qu’elle inspirait en tant que communiste, même aux colonialistes, que pendant un temps, notre problème a semblé secondaire. Si j’avais suivi mon instinct, je serais restée sur cette île pour apprendre tout ce que je pouvais de cette femme. Les jours suivants, elle a négocié avec ténacité avec les douaniers, la police et les juges. Nous avons appris qu’il existait une loi qui pouvait être légitimement invoquée – dans la mesure où une loi coloniale peut être légitime – pour nous envoyer en prison pendant une période considérable.
La seule solution était de faire un compromis : les colonialistes nous permettraient de quitter l’île à condition que les Portoricains abandonnent leurs livres. Bien sûr, nous avons protesté, mais nous avions remporté la première manche. Notre décision finale fut de prendre les passeports, de quitter la Guadeloupe et de confier la question des livres à Madame Archimède, qui promit de faire tout son possible pour les récupérer.
Autobiographie d’Angela Davis, édition française, Albin Michel, 1975, p. 192-195 : À l’été 1970, Angela Davis, qui était sous surveillance du FBI d’Edgar J. Hoover dans le cadre du programme Cointelpro, fut accusée de complicité dans une prise d’otages meurtrière qui eut lieu dans un tribunal californien. « Angela Davis et le FBI : Arrêtée le 13 octobre 1970, après plusieurs semaines de cavale, elle fut inculpée début 1971 pour meurtre, enlèvement et complot. L’affaire a suscité une attention internationale, et Angela Davis, soutenue en France par Jean-Paul Sartre et Gerty Archimède, a acquis une telle notoriété que même les Rolling Stones lui ont dédié une chanson : Sweet Black Angel ».
En 1972, Angela Davis, qui risquait la peine de mort, a été libérée sous caution puis acquittée. Outre ses activités d’écriture et d’enseignement, Angela Davis est restée très active depuis lors, notamment au sein des mouvements féministes. Au printemps 2013, elle a signé une pétition critiquant le projet de loi français interdisant le port du voile islamique dans les crèches.

