Ce voyage initiatique lui fait prendre conscience que le sort des travailleurs jamaïcains est partagé par de nombreux autres peuples. En 1912, Garvey effectue un second voyage initiatique en Europe. Garvey visite également une partie du Vieux Continent (Paris, Madrid; Etc), où il est régulièrement pris pour un roi africain, ce qui ne manque pas de flatter son égo. À Londres, il tente d’accéder à la mobilité sociale tout en s’intéressant aux questions politiques, notamment au nationalisme irlandais, mais c’est à Londres qu’il développe ses capacités de communication.
Jeune écrivain prolifique, mais expérimenté, il rejoint l’équipe de journalistes égyptiens d’origine soudanaise Dusé Mohamed Ali, qui fonde (The African Times & Orient Review en 1912). Cette expérience lui permet de nouer des contacts dans tout le monde colonial. C’est également à cette époque qu’il s’initie au nationalisme noir en lisant l’autobiographie de Booker T. Washington, Up from Slavery, et l’essai écrit par le militant nationaliste de la Gold Coast Joseph Casely-Hayford, Ethiopia Unbound.
En 1914, Garvey décide de retourner en Jamaïque. En juillet, il fonde avec sa future première femme et collaboratrice, Amy Ashwood Garvey, l’Universal Negro Improvement and Conservation Association et l’African Communities League, organisations qui seront refondées à l’été 1917 à New York, alors connues dans l’histoire sous l’acronyme UNIA. Se revendiquant universelle, comme son nom l’indique, l’UNIA naît dans un contexte particulier. Dans les années 1910, la détérioration des conditions économiques et raciales dans le sud des États-Unis et les besoins industriels des centres urbains entraînent une grande migration des Noirs/Africains vers le Nord et l’Ouest.
Les travailleurs antillais mobilisés pour la construction du canal de Panama sont également venus en nombre dans les villes nord-américaines. La baisse des flux migratoires en provenance d’Europe pendant la Première Guerre mondiale a incité les employeurs à se tourner vers les travailleurs noirs, embauchés dans les usines (armement, automobile, sidérurgie), les chantiers (chemins de fer, chantiers navals, BTP) et les services de base. Les salaires au Nord étaient faibles, mais plus conséquents et réguliers que les revenus de l’agriculture au Sud. Partis les premiers, les hommes faisaient ensuite venir leur famille et encourageaient leurs amis restés au Sud à les rejoindre. Fuyant les lynchages et la ségrégation au Sud, les Noirs n’étaient pas toujours les bienvenus au Nord. Sur le marché du travail, leur arrivée inquiétait les travailleurs Blancs/Occidentaux regroupés au sein de l’American Federation of Labor (AFL).
Alors que les employeurs utilisent les Noirs/Africains pour faire baisser les salaires et briser les grèves, les syndicats Blancs/Occidentaux ne veulent pas défendre les travailleurs Noirs/Africains. Sur le marché du logement, les politiques publiques et la spéculation immobilière privée encouragent la formation de ghettos ethniques. C’est parmi les 100 000 à 150 000 Noirs/Africains vivant dans le plus célèbre des quartiers Afro-Américains, Harlem, entre la 125e et la 145e rue au nord de Manhattan, à New York, que Garvey décide de relancer l’UNIA en 1917.
La première visite de Garvey aux États-Unis est motivée par son désir de rencontrer Booker T. Washington et de lui demander conseil sur la création d’une école à Kingston comparable au Tuskegee Institute. Booker T. Washington meurt prématurément le 14 novembre 1915. En mars 1916, Garvey s’embarque néanmoins pour New York et s’installe à Harlem. Déçu par l’absence de Du Bois, qu’il avait invité à sa première conférence en mai 1916, Garvey fut désillusionné par l’intellectuel afro-américain lorsqu’il remarqua la présence de nombreux Blancs/Occidentaux dans les bureaux de la NAACP sur la 5e Avenue.
Pendant l’été 1916, Garvey se rendit à l’Institut Tuskegee en Alabama. Déçu cette fois par l’accueil réservé par Robert Moton, successeur de Booker T. Washington, il entama un périple de six mois à travers une quarantaine d’États, dont ceux du sud des États-Unis. Au péril de sa vie, il découvrit la ségrégation, la violence et la terreur symbolisées par ces arbres fruitiers étranges. Garvey rencontra aussi des communautés Noires/Africaines tentant de survivre en se retirant ou rêvant d’une terre promise. Prenant la parole dans les églises, il se construisit un large réseau de sympathisants et recruta des militants grâce à ses talents d’orateur. « De retour à Harlem, Garvey s’installe à l’angle de la 135e rue et de l’avenue Lenox. Là, perché sur son tabouret, il prend l’habitude de haranguer la foule toujours plus nombreuse qui se presse pour écouter ses discours enflammés ».
Partageant la scène du militantisme radical Noir avec le journaliste Hubert Henry Harrison et le syndicaliste Asa Philip Randolph, Garvey et l’UNIA rivalisent avec Du Bois et la NAACP dans leur analyse de l’actualité Afro-Américaine et internationale : l’occupation américaine d’Haïti (1915), la Première Guerre mondiale, la révolution russe, le retour d’Europe du régiment Noir New-Yorkais des Harlem Hellfighters, et la recrudescence des lynchages et des émeutes raciales à l’été 1919.