Bien que quelque 600.000 Bétés vivent en Côte d’Ivoire, leur langue n’est pas enseignée dans les écoles, et tout l’enseignement se fait en français. Bouabré, ayant 400 pictogrammes, en diverses combinaisons, fournit une méthode ludique et concrète de l’enseignement, comme l’a démontré Alphabet de Bruly Bouabré. Comme l’explique maintenant Bouabré, âgée, son but était de « former une écriture spécifique africaine des scènes de la vie humaine ».
Aujourd’hui, un petit nombre de gens continuent d’utiliser l’Alphabet Bruly, et les musées du monde entier ont exposé ses dessins.
À partir du sol de sa terre, des petits cailloux noirs aux formes et aux reliefs singuliers, Bruly a donné une représentation graphique à une langue vernaculaire, la sienne, parlée dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire. Il n’a pas inventé dans sa langue, il a inventé l’écriture même : l’alphabet Bété. Pour Philippe Bordas : c’est le choc. Cet enfant des lettres françaises, quasiment autodidacte, lui aussi, a grandit dans le vide des cités H.L.M., sur un sol où rien ne s’enracine.
Absorbé par le temps mythologique de Bruly, il se retrouve face à une « grande frappe », un « Champollion des bois », un « poète fondateur ». Un homme, sommé par Dieu de renaître par le langage, de contrer le déficit d’arme de sa tribu par la puissance du verbe. Convaincu qu’il est impossible « de se libérer et de chanter sa liberté dans la langue d’autrui », Bruly a mis en place, au fil des années, une véritable mythographie. Il occupe ses matins et ses nuits « à l’établissement d’une encyclopédie gigantesque ».
Une synthèse du monde, contenant notamment une adaptation Bété de la Divine Comédie de Dante. Une œuvre poétique totale, déroutant « l’universel des blancs », et qui repose au milieu de la forêt, dans des sacs de riz, au fond d’une chapelle de terre rouge courue de fourmis et de termites.