À l’époque, Malcolm X était engagé dans plusieurs mouvements sociaux et souhaitait s’investir davantage dans le panafricanisme. En 1963, il quitta la Nation de l’Islam, mais avait l’intention de provoquer une scission au sein de l’organisation : une branche pour l’islam orthodoxe et une autre pour l’activisme, non fondé sur des croyances religieuses, afin de permettre une plus grande expansion. Malheureusement, bien avant son voyage en Afrique pour rencontrer l’Organisation de l’unité Africaine, il fut assassiné.
Voici le discours que l’activiste Afro-Américain Malcolm X a prononcé lors du sommet de l’Organisation de l’unité Africaine (OUA). La deuxième conférence des chefs d’État de l’OUA s’est tenue du 17 au 21 juillet 1964 au Caire. Cette rencontre a permis à Malcolm X d’exposer la situation dramatique des Afro-Américains et de solliciter l’aide de leurs frères et sœurs Africains.
Voici la traduction du discours de Malcolm X au sommet de l’OUA. Il souligne le lien entre l’Afrique et sa diaspora et lance un appel à l’aide aux Africains, expliquant la situation des Noirs aux États-Unis :
L’Organisation de l’unité Afro-Américaine m’a envoyé assister à cette conférence historique du Sommet africain en tant qu’observateur, afin de représenter les intérêts de 22 millions d’Afro-Américains dont les droits humains sont bafoués quotidiennement par le racisme des impérialistes américains. L’Organisation de l’unité afro-américaine a été créée par un large éventail de la communauté afro-américaine aux États-Unis et s’inspire de l’esprit et des principes de l’Organisation de l’unité Africaine.
Tout comme l’Organisation de l’unité Africaine a appelé tous les dirigeants Africains à surmonter leurs divergences et à s’unir autour d’objectifs communs pour le bien de tous les Africains, l’Organisation de l’unité Afro-Américaine a exhorté les dirigeants afro-américains à mettre de côté leurs différends et à trouver des points d’accord afin de travailler ensemble pour le bien des 22 millions d’Afro-Américains. Étant donné que nous sommes 22 millions d’Africains, présents en Amérique non par choix, mais par un cruel accident de l’histoire, nous sommes fermement convaincus que les problèmes africains sont nos problèmes et que nos problèmes sont des problèmes africains. Nous croyons également qu’en tant que chefs d’États Africains indépendants, vous êtes les garants de tous les peuples Africains, qu’ils résident encore sur le continent ou qu’ils soient dispersés à travers le monde.
Certains dirigeants Africains présents à cette conférence ont suggéré qu’ils avaient déjà suffisamment de problèmes sur le continent africain sans y ajouter la question afro-américaine. Avec tout le respect que je vous dois, je me permets de vous rappeler que le Bon Berger laisse 99 brebis en sécurité pour aller secourir celle qui s’est égarée et est tombée entre les griffes du loup impérialiste. Nous, en Amérique, sommes vos frères et sœurs perdus de vue, et je suis ici pour vous rappeler que nos problèmes sont aussi les vôtres. Alors que les Afro-Américains s’éveillent aujourd’hui, nous nous trouvons dans un pays étranger qui nous a rejetés et, tel l’enfant prodigue, nous nous tournons vers nos frères aînés pour obtenir de l’aide. Nous prions pour que nos appels ne restent pas sans réponse. Nous avons été arrachés de force à ce continent, enchaînés, et nous avons passé plus de 300 ans en Amérique, subissant les formes de torture physique et psychologique les plus inhumaines imaginables.
Au cours des dix dernières années, le monde a été témoin des attaques et des morsures infligées à nos hommes, nos femmes et nos enfants par des chiens policiers féroces, des passages à tabac brutaux à coups de matraque, et des jets d’eau à haute pression qui ont arraché nos vêtements et lacéré notre chair. Toutes ces atrocités inhumaines nous ont été infligées par les autorités du gouvernement américain, par la police elle-même, pour la seule raison que nous revendiquons la reconnaissance et le respect qui nous sont dus en tant qu’êtres humains en Amérique. Le gouvernement Américain ne peut ou ne veut pas protéger la vie et les biens de ses 22 millions de frères et sœurs afro-américains. Nous sommes sans défense, à la merci des racistes américains qui nous assassinent impunément simplement parce que nous sommes Noirs et d’origine Africaine.
La semaine dernière, un enseignant Afro-Américain non armé a été assassiné de sang-froid en Géorgie; quelques jours plus tôt, trois militants des droits civiques avaient disparu, peut-être même assassinés, simplement pour avoir appris à nos concitoyens du Mississippi comment voter et comment faire valoir leurs droits politiques. Nos problèmes sont aussi les vôtres. Nous vivons depuis plus de trois cents ans dans cette tanière de loups racistes Américains, dans la peur constante de perdre la vie et d’être mis en pièces. Récemment, trois étudiants Kenyans ont été pris pour des Afro-Américains et brutalement battus par la police de New York. Peu après, deux diplomates ougandais ont également été frappés par la police de New York, qui les avait pris pour des Afro-Américains.
Si des Africains sont brutalement battus lors de leurs visites aux États-Unis, imaginez les souffrances physiques et psychologiques endurées par vos frères et sœurs qui y vivent depuis plus de 300 ans. Notre problème est votre problème. Peu importe le nombre d’indépendances africaines sur le continent, à moins de porter votre costume national en permanence lors de vos voyages en Amérique, vous risquez d’être pris pour l’un des nôtres et de subir les mêmes violences physiques et psychologiques que nous subissons quotidiennement. Vos problèmes ne seront jamais pleinement résolus tant que les nôtres ne le seront pas. Vous ne serez jamais pleinement respectés tant que nous ne le serons pas. Vous ne serez jamais reconnus comme des êtres humains libres tant que nous ne serons pas nous aussi reconnus et traités comme tels. Notre problème est votre problème. Ce n’est pas un problème de Noirs, ni un problème américain. C’est un problème mondial, un problème pour l’humanité. Ce n’est pas une question de droits civiques, c’est une question de droits humains. Nous prions pour que nos frères africains ne se soient pas libérés du colonialisme européen pour être ensuite vaincus et dominés par le dollar américain. Ne laissez pas le racisme américain être « Légalisé » par le pouvoir du dollar.
L’Amérique est pire que l’Afrique du Sud, car elle est non seulement raciste, mais aussi trompeuse et hypocrite. L’Afrique du Sud prône la ségrégation et la pratique. Au moins, elle met en pratique ce qu’elle prêche. L’Amérique prône l’intégration et pratique la ségrégation. Elle prêche une chose et en pratique une autre, de manière perfide. L’Afrique du Sud est comme un loup féroce, ouvertement hostile à l’humanité noire. Mais l’Amérique est rusée comme un renard, amicale et souriante, et pourtant encore plus féroce et mortelle que le loup. Le loup et le renard sont tous deux ennemis de l’humanité, tous deux des canidés qui humilient et mutilent leurs victimes. Ils ont les mêmes objectifs, mais diffèrent uniquement par leurs méthodes.
Si l’Afrique du Sud est coupable de violations des droits humains des Africains sur le continent africain, alors l’Amérique est coupable des pires violations contre 22 millions d’Africains sur le continent américain. Et si le racisme sud-africain n’est pas un problème national, alors le racisme américain ne l’est pas non plus. Nous exhortons les États africains indépendants à nous aider à porter notre problème devant les Nations Unies, au motif que le gouvernement des États-Unis est moralement incapable de protéger la vie et les biens de 22 millions d’Afro-Américains. Et au motif que la détérioration de notre situation devient indéniablement une menace pour la paix mondiale. Par frustration et désespoir, notre jeunesse a atteint le point de non-retour. Nous n’avons plus la patience ni l’intention de tendre l’autre joue. Nous revendiquons le droit à la légitime défense par tous les moyens nécessaires et nous nous réservons le droit d’exercer des représailles maximales contre nos oppresseurs racistes, quelles que soient les difficultés rencontrées.
Nous sommes pleinement conscients que nos futurs efforts pour nous défendre par des représailles, en répondant à la violence par la violence, œil pour œil, dent pour dent, pourraient engendrer aux États-Unis un conflit racial susceptible de dégénérer en une guerre raciale mondiale violente et sanglante. Dans l’intérêt de la paix et de la sécurité mondiales, nous exhortons les chefs d’État des pays Africains indépendants à proposer une enquête immédiate sur notre problème par la Commission des droits de l’homme des Nations Unies.
Un dernier mot, mes frères bien-aimés, à l’occasion de ce Sommet Africain : « Nul ne connaît mieux le maître que son serviteur ». Nous avons été serviteurs en Amérique pendant plus de 300 ans. Nous connaissons intimement cet homme que l’on appelle l’Oncle Sam. Par conséquent, vous devez tenir compte de notre avertissement. Ne fuyez pas le colonialisme européen pour vous retrouver asservis par le dollarisme américain, trompeur et (en apparence) amical. Que les bénédictions d’Allah, la santé et la sagesse, soient sur vous tous. (By; Malcolm X).


