Appelant à l’abolition des pratiques ségrégationnistes dans les écoles et les lieux publics, notamment dans le Sud, ces mouvements revendiquaient l’égalité raciale et le plein accès des personnes Noires/Américaines aux droits civiques. Une première victoire judiciaire fut remportée en 1954 avec une décision de la Cour suprême déclarant la ségrégation scolaire inconstitutionnelle. En décembre 1955, à Montgomery, en Alabama, l’arrestation de Rosa Parks pour avoir refusé de céder sa place à une personne blanche dans un bus déclencha un mouvement de boycott, d’abord spontané puis organisé, de la compagnie de transport par la population Noire, qui dura plus d’un an et visait à contraindre la compagnie à mettre fin à sa politique de ségrégation.
Le mouvement ne s’est pas arrêté là, et l’élan suscité par le boycott des bus de Montgomery a conduit à la signature de la première loi sur les droits civiques en 1946. La personne en grande partie responsable de cette avancée, et à qui l’on doit une grande partie du mérite, était un jeune pasteur Noir, Martin Luther King. Dans les années 1950, parallèlement à la dénonciation du colonialisme en Afrique et des violences racistes aux États-Unis, plusieurs militants afro-américains engagés dans des mouvements pacifistes et non alignés ont cherché à rapprocher les dirigeants nationalistes Africains et les militants Afro-Américains.
L’un d’eux, Bill Sutherland, qui vivait à Accra depuis 1953, suggéra à Nkrumah d’inviter le révérend King aux cérémonies d’indépendance du Ghana. King était en effet l’étoile montante de la communauté noire américaine, et les médias s’intéressaient de plus en plus à lui depuis qu’il avait fondé, en janvier 1957, la Southern Christian Leadership Conference (SCLC), qui regroupait plusieurs associations. En mars 1957, Martin Luther King et son épouse Coretta arrivèrent à Accra. Ils furent accueillis par Sutherland et un autre expatrié afro-américain, Robert Lee, qui les présentèrent à Nkrumah et au dirigeant du Tanganyika, Julius Nyerere. Dans la capitale ghanéenne, King rencontra également le vice-président américain Richard Nixon, qui accepta par la suite de le revoir aux États-Unis.
Le 6 mars 1957, il assiste à la proclamation de l’indépendance du Ghana par Nkrumah, un événement qui devient le symbole de la lutte victorieuse pour l’émancipation et de la dignité retrouvée des peuples noirs et africains : (« Aujourd’hui, un nouvel Africain est né, et ce nouvel Africain est prêt à mener ses propres combats et à démontrer qu’après tout, l’Africain est tout à fait capable de gérer ses propres affaires »). De retour aux États-Unis après un bref séjour au Nigeria, puis en Europe de l’Ouest, où il rencontre Cyril Lionel Robert (C.L.R.) James, King prononce un long sermon dans lequel il retrace l’histoire récente du Ghana, du mouvement de désobéissance civile à l’indépendance. Utilisant cette victoire contre le colonialisme comme métaphore de l’exode des Israélites hors d’Égypte et comparant la lutte des peuples noirs et africains pour leur libération à celle des Afro-Américains, King souligne que (le boycott n’est que le début, et la liberté ne s’obtient que par une révolte persistante, une agitation constante, un soulèvement incessant contre ce système inique).
Six ans plus tard, King prononcera son célèbre discours « I Have a Dream » à Washington. Ponctué d’extraits de chants spirituels Noirs et de références bibliques, ce discours faisait écho aux sentiments du dirigeant ghanéen en 1957 : (Enfin libres ! Enfin libres ! Dieu merci, nous sommes enfin libres). Enfin libres ! Enfin libres ! Dieu tout-puissant, nous sommes enfin libres. En réalité, si King fut particulièrement inspiré par son premier voyage en Afrique, sa relation avec le continent et les forces panafricaines demeura nuancée. Face à un panafricanisme modéré, devenu la norme avec la création de l’OUA en mai 1963, un courant plus radical persistait au sein des mouvements de libération qui rejetaient le principe de non-violence et étaient convaincus, depuis la fin de la guerre d’Algérie, que le colonisateur devait être chassé par la force.
Les théories de Frantz Fanon, dont l’ouvrage Les Damnés de la Terre fut publié en anglais en 1963, ont nourri la réflexion des militants afro-américains radicaux qui s’identifiaient au slogan « Black Power », tout comme les combattants des colonies portugaises et d’Afrique australe. De son côté, Martin Luther King poursuivit son action jusqu’à l’adoption des lois sur les droits civiques de 1964 et 1965, puis étendit son militantisme à la lutte contre la pauvreté, la guerre du Vietnam et l’apartheid en Afrique du Sud. Peu avant son assassinat, le 4 avril 1968, il confia qu’il aurait aimé accorder davantage d’importance à l’Afrique dans son combat et qu’il espérait effectuer un nouveau voyage sur le continent avant la fin de l’année 1968.
Enfin, conscient que l’écart entre le texte des lois et leur application est l’un des fondements du mépris que les partisans du Black Power vouent à la justice, King fut également dépassé par une jeunesse noire prête à affronter la police. Ces jeunes, ayant appris les stratégies de protestation au sein du Student Nonviolent Coordinating Committee (SNCC), fondé en 1960 en Caroline du Nord, aspiraient à davantage de pouvoir. Menés par Stokely Carmichael, un étudiant originaire de Trinité-et-Tobago qui s’était éloigné de King en 1966, ils revendiquaient l’héritage radical et révolutionnaire de Malcolm X et prônaient une plus grande solidarité avec les mouvements de libération Africains. (Source : Amzat Boukari, Africa Unite !, pages 216-218).


