Ce qui aurait dû être une campagne facile s’est vite transformé en épreuve. Les progrès sont lents; les troupes étaient harcelées quotidiennement par des attaques de guérilla, mais c’était le 26 octobre 1892, le jour le plus meurtrier de cette guerre.
Selon les mots de Dodds lui-même, alors que les soldats se trouvent à une cinquantaine de kilomètres d’Abomey, leur route est soudain bloquée par une immense armée équipée de fusils Winchester et d’armes blanches, et au grand désarroi des Français, elle est composée de femmes. « Ces étonnants guerrieres sont les Minos (nos mères) en langue Fon, parlée alors au Dahomey et encore en usage (au Bénin, au Togo et dans une partie du Nigeria), l’avant-garde et l’élite de l’armée par Béhanzin ».
Frappés par leur apparence et leur combativité, les soldats les nommèrent (Amazones), en référence aux anciens guerriers. Si le fait est surprenant pour les Français, la tradition des femmes combattantes est ancienne au Dahomey. L’origine de ces bataillons pourrait remonter au tout début du XVIIIe siècle. La tradition orale raconte que le roi Agadja (1673-1740), qui mena des guerres de conquête sur plusieurs fronts, avait recruté des femmes dans son armée pour pallier le manque de troupes masculines, mais c’est surtout à partir de 1818, que le corps des Amazones de Le Dahomey s’est développé et structuré.
À cette époque, le roi Ghézo, qui venait de monter sur le trône, constituait une troupe d’élite entièrement dédiée à sa sécurité, il choisissait les plus vigoureuses d’entre elles pour en faire des guerrières aguerries. Dans les années suivantes, les femmes du royaume venaient elles-mêmes s’enrôler, et la légende raconte que certains maris maltraités par leurs (musaraignes) les forçaient à s’enrôler afin de s’en débarrasser.
- Elles sont sont formés (entraînées), pour résister à la douleur et ignorer la pitié;
- Dès leur plus jeune âge, les Amazones ont suivi un entraînement intense au combat et à l’utilisation des armes;
- Elles étaient psychologiquement conditionnés à résister à la douleur et à ignorer la pitié;
- Craintes et respectés par la population, elles avaient un statut presque sacré;
- Chaque fois qu’elles sortaient du palais, des groupes de petites filles agitant des cloches les précédaient pour que la foule s’écarte respectueusement de leur passage;
- Ces femmes, propriété du roi, devaient rester vierges et quiconque devenait leur amante était immédiatement exécuté.
L’historienne Sylvia Serbin rapporte à ce sujet (dans Reines d’Afrique, éd. Sepia) une plaisanterie qui circulait parmi les anciens et selon laquelle (moins d’hommes mouraient au combat qu’en tentant de franchir le mur du camp des Amazones). À la fin du XIXe siècle, lorsqu’ils rencontrèrent les Français, les bataillons de Minos, commandés exclusivement par des femmes, étaient constitués de 4 000 à 5 000 recrues, soit un tiers de l’armée du Dahomey. Le bataillon (Aligossi) est chargé de défendre le palais, et celui du (Djadokpo) constitue l’avant-garde de l’armée régulière. Elles sont vêtues de longues tuniques bleues ceinturées à la taille, sur des pantalons amples.
Leurs têtes sont rasées et surmontées d’un petit bonnet blanc brodé d’un caïman. Leur équipement varie selon leur spécialité. Les guerrieres armés de fusils forment le gros des troupes, avec cette arme, elles portent une cartouchière, mais aussi un sabre court et un poignard. Viennent ensuite les archers, redoutés pour leur habileté et leur précision, puis les terribles faucheuses. Celles-ci sont équipées de longues machettes tranchantes formées d’une lame de 45 centimètres montée sur un manche de 60 centimètres qu’elles manient à deux mains, les ouvrant et les refermant comme des gigantesques canifs.
Un seul coup de rasoir peut couper un homme en plein milieu ! S’exclame dans ses souvenirs de missions le père François Xavier Borghéro venu évangéliser le pays dans les années 1860. Généralement, au cours de la bataille, ils décapitent leurs ennemis et s’empressent de brandir les têtes coupées afin de semer la panique dans les rangs ennemis, mais le groupe le plus redouté, véritable commando d’élite, est celui des chasseresses, ces tueuses choisies parmi les le plus fort et le plus corpulentes.
Ce sont ces milliers de guerrieres conditionnées à (gagner ou mourir) et, selon les légionnaires, ivres de gin, que les hommes de Dodds virent apparaître devant eux ce jour-là. Au mépris de la supériorité du feu français, ils se précipitèrent à l’attaque. Certains franchissent les lignes en rampant sur le sol sous le feu pour rechercher le corps à corps dans lequel ils excellent. (Ces Amazones sont des prodiges de valeur, elles viennent se faire tuer à 30 mètres de nos places), écrit le capitaine Jouvelet dans ses mémoires. Avec lui, tous les hommes qui les ont combattus, impressionnés, saluent (l’extrême vaillance, l’audace indomptable de ces guerrieres).
Cependant, le courage ne peut suffire pour lutter contre les fusils Lebel et canons de l’armée coloniale. L’arrivée des Français sonne le glas de ces combattantes légendaires. Après les dernières batailles menées par les hommes de Dodds à Abomey en novembre 1892, il ne reste des Minos que le souvenir de leurs exploits qui se transmettront de génération en génération sur les ruines de l’ancien royaume.
Témoignage peu flatteur de l’explorateur anglais Sir Richard Burton en 1877: Les Amazones ne sont pas seulement l’élite de l’armée pour laquelle elles incarnent l’intrépidité, mais elles constituent à elles seules toute l’armée permanente, car les soldats de sexe masculin ne sont appelés qu’en cas de guerre. (…) Il y avait des femmes dans la garde du roi du Dahomey qui n’auraient pas gâté nos plus belles compagnies de grenadiers.
Certaines mesuraient près de six pieds de haut et de large en proportion. Le développement musculaire de ces viragos était tel que leur sexe ne pouvait être reconnu qu’à leur poitrine, qui était d’une taille monstrueuse.