KONGOLISOLO
Actualité

Amilcar Cabral, d’origine capverdienne et guinéenne,père de l’indépendance de la Guinée Bissau et du Cap Vert : le Portugal est venu, chez nous en proclamant qu’il venait au service du Dieu d’Israël et au service de la civilisation; « Aujourd’hui nous lui répondons les armes à la main (quel que soit le Dieu d’Israël, qui est avec les colonialistes portugais; quelle que soit la civilisation, que représentent les Portugais, nous les détruirons car nous détruirons chez nous (dans notre pays), toute forme de domination étrangère »

Amílcar Cabral fait partie de ces étudiants engagés politiquement, venus se former à Lisbonne. En 1954, après avoir obtenu son diplôme d’ingénieur agronome, Cabral retourna en Guinée-Bissau, où il travailla à l’Office provincial des services agricoles et forestiers, et réfléchit à la manière de faire face au système colonial. Convaincu qu’on ne peut pas faire de révolution sans le soutien du peuple, Cabral se rapproche des milieux populaires, tente de les former politiquement et s’efforce de comprendre les enjeux locaux. Il estime qu’il est nécessaire de déconstruire l’anthropologie européenne, sur laquelle reposent les structures du pouvoir colonial.

Convaincu qu’on ne peut pas faire de révolution sans le soutien du peuple, Cabral se rapproche des milieux populaires, tente de les former politiquement et s’efforce de comprendre les enjeux locaux. Il estime que l’anthropologie européenne, sur laquelle reposent les structures du pouvoir colonial, doit être déconstruite. Ce n’est qu’en comprenant intimement les aspirations des populations que nous pourrons mener le combat qui devra aboutir à la libération nationale et sociale. Cabral profite de son métier d’agronome, qui l’emmène en Guinée-Bissau et au Cap-Vert, pour développer une vision anthropologique révolutionnaire.

Parcourant la Guinée-Bissau, qui ne comptait pas plus d’un demi-million d’habitants dans les années 1950, Cabral prit contact avec les 4 principaux groupes : les Balante, qui représentaient 32 % de la population, les Foula (22 %), les Manjaks (15 %) et les Mandingues (13 %). Il constate que les Balante et les Foula dominent dans les campagnes, mais fonctionnent selon deux modèles politiques et sociaux distincts. Les premiers animistes et évoluent dans une « société sans État », communautaire, tandis que les seconds évoluent dans un cadre islamisé et hiérarchisé.

Comme Frantz Fanon, dont il s’inspire pour développer sa théorie de la révolution, Cabral s’intéresse également à la sociologie urbaine et souligne la fragmentation sociale qui caractérise les villes guinéennes. La (société européenne) coloniale était elle-même hiérarchisée, les hauts fonctionnaires et les chefs d’entreprise dominant un groupe composé de petits fonctionnaires, d’employés, de commerçants et d’ouvriers spécialisés. Derrière les Européens, une petite bourgeoisie africaine – fonctionnaires, employés de commerce, professions libérales, petits propriétaires agricoles – domine le reste de la population autochtone, composée d’employés et de non-contractuels, de domestiques, d’ouvriers et de paysans. « Marquée par l’insularité, la structure sociale du Cap-Vert est dominée, dans les campagnes, par de grands propriétaires terriens dépendants du colonialisme et, dans une moindre mesure, par de petits propriétaires terriens parfois favorables aux Portugais ».

Au bas de l’échelle sociale, les métayers et les métayers complètent le tableau du Cap-Vert rural. Quant aux villes, outre les hauts fonctionnaires européens et capverdiens, elles abritent également des commerçants et des industriels, des employés des secteurs public et privé, des salariés et un certain nombre de chômeurs. Cherchant à (apprécier correctement la relation entre la situation internationale et la situation interne des colonies portugaises), Cabral tente de résoudre les contradictions qui apparaissent parfois entre les préoccupations locales, qui s’expriment dans un cadre que l’on pourrait qualifier de micro nationaliste, et Pan -Des conceptions africaines, souvent excessivement inclusives mais néanmoins nécessaires à la libération.

Du point de vue économique et sociologique, il comprend que le Cap-Vert insulaire et la Guinée-Bissau continentale, deux territoires inclus dans un empire géographiquement fragmenté, peuvent et doivent s’unir pour s’émanciper de la tutelle portugaise. C’est dans cet état d’esprit qu’il fonde, avec une demi-douzaine de camarades, le Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (Partido Africano para an Independência da Guiné e Cabo Verde, PAIGC) en septembre 1956. Dans les semaines suivantes , il a participé à la création du Parti de la lutte unie des peuples africains d’Angola (Partido da luta unida dos Africanos de Angola, PLUA) puis du Mouvement populaire pour la libération de l’Angola (MPLA) autour d’Agostinho Neto et de Mário de Andrade. «  Suivant avec intérêt les nouvelles du Ghana (1957) et de la Guinée-Conakry (1958), qui accèdent à l’indépendance sans effusion de sang, Cabral doute néanmoins de la volonté de Lisbonne de négocier. Portugais après une grève des dockers à Bissau en 1959, les cadres du PAIGC s’exilent à Conakry, ce qui inquiète la France et, plus tard, le Sénégal Senghor, hostile à l’extension de l’impérialisme antiradical ».

Cherchant à élargir ses alliances, Cabral tient une conférence de presse du PAIGC à Londres en février 1960, puis se rend en été en Chine pour demander une assistance militaire. Il a également voyagé plusieurs fois aux États-Unis, où il a pris la parole dans des universités afro-américaines. En décembre, il lance l’organe de presse du PAIGC, libertação, pour s’adresser directement au peuple portugais. En même temps qu’ils s’engagent à leur tour dans la lutte armée, les différents mouvements nationalistes de (l’Afrique portugaise) poursuivent leur rapprochement. Lors de la Conférence panafricaine des peuples de Tunis en janvier 1960, le Mouvement anticolonialiste (Movimento anti-colonialistes, MAC), regroupant le PAIGC et le MPLA, devient le Front révolutionnaire africain pour l’indépendance nationale des colonies portugaises (FRAIN), qui devient, après l’adhésion en 1962 du FRELIMO Mozambicain, en Conférence des organisations nationalistes des colonies portugaises (Conferência das Organizações Nacionalistas das Colonias Portuguesas, CONCP). Cette évolution permet de restructurer politiquement les mouvements de libération qui, outre leur ennemi commun, le Portugal, contestent les structures néocoloniales et impériales américaines, britanniques, françaises et sud-africaines qui tirent profit du colonialisme portugais.

Bénéficiant du recul qui manquait aux nationalistes qui les ont précédés sur le continent, les mouvements révolutionnaires d’Afrique portugaise savaient en effet que le colonialisme pouvait se perpétuer malgré les (indépendances) politiques. Ils le voient notamment lors de la crise Kongolaise, lorsque Salazar, confronté en 1961 à la rébellion des nationalistes angolais, incite à la sécession du Katanga pour contrer le soutien décisif que Lumumba avait promis aux combattants anticolonialistes de l’Angola (avec qui le Kongo partage frontière de 2500 km). Par le jeu des alliances ethniques et des mercenaires, les Katangais s’engagent, aux côtés des Portugais, dans la lutte contre les nationalistes angolais. Alors que Salazar tente d’écraser au plus vite les nationalistes angolais (à partir d’avril 1961, il envoie des troupes supplémentaires, avec l’appui logistique de l’OTAN), ces derniers, instruits par la longue lutte des Algériens, qui se termine victorieusement en 1962, et confiants dans leur alliance avec leurs homologues lusophones, qui s’apprêtent à déclencher leur propre insurrection sur leurs territoires respectifs, savent qu’ils doivent installer le conflit sur le long terme.

Trois ans après le début de l’insurrection angolaise, l’attaque de la caserne de Tite dans le sud de la Guinée Bissau en janvier 1963 marqua le début d’une guerre de libération totale dans ce pays. Le PAIGC compte 4 000 à 6 000 combattants, la plupart sélectionnés par Cabral lui-même, pour combattre une armée portugaise lourdement équipée. Malgré le déséquilibre des forces, la stratégie de Cabral, longuement mûrie, fait la différence : (Nous déchaînons la lutte armée au centre de notre territoire et adoptons une stratégie que l’on peut appeler centrifuge, qui part du centre et va vers la périphérie. Cela a totalement surpris les Portugais qui avaient placé leurs forces aux frontières de la République de Guinée et du Sénégal, espérant que nous tenterions d’envahir le pays. Nous nous mobilisons dans les villages et nous nous organisons clandestinement dans les villes et les campagnes, nous préparons nos cadres, nous armons le minimum de personnes, plus avec des armements traditionnels qu’avec des armes modernes et nous commençons la révolution par le centre de notre pays).

Quelques mois plus tard, l’OUA, à peine constituée, annonce son soutien aux mouvements de libération en Afrique lusophone. Les soldats portugais, malgré le soutien de l’OTAN, perdaient du terrain. Plus les combattants africains avancent, plus ils développent leur organisation. Le recrutement, l’offre, la mobilisation idéologique, le contrôle des richesses et l’information comblent l’infériorité numérique.

De plus, le contrôle des campagnes habitées par des Africains a permis de couper l’approvisionnement alimentaire des centres urbains principalement habités par des colons. En rassemblant des unités de combattants en cellules, puis en formant des colonnes qui se déploient en zones, régions et interrégionales, le PAIGC transforme ses commandos en une véritable armée. En 1970, la synchronisation entre les branches politique, militaire et sociale permet au parti de proclamer la devise du (peuple en armes). Rien, pas même l’assassinat de Cabral à Conakry en janvier 1973 par des agents des services portugais infiltrés dans le PAIGC, n’est venu arrêter l’élan libérateur. Ainsi, la Guinée-Bissau et le Cap-Vert, contrairement à l’Angola et au Mozambique, ont proclamé unilatéralement leur indépendance avant l’effondrement de l’Empire colonial portugais.

Source: Amzat Boukari, Africa Unite ! Une histoire du panafricanisme, pages 206 à 210.

Amilcar

Articles similaires

Laisser un Commentaire