Ce bébé richement vêtu est au cœur des célébrations organisées chaque troisième samedi de février dans le village de Quinamayo (Sud-Ouest). Au temps de l’esclavage, les Blancs/Occidentaux de Colombie interdisaient aux Noirs/Africains des haciendas de fêter Noël en même temps qu’eux le 24 décembre, racontent leurs descendants.
La fête déplacée est devenue une tradition des communautés Noires/Africaines au XIXe siècle, mêlant musique, feux d’artifice, théâtre et costumes, autour d’une image religieuse (l’enfant YESUS a disparu).
Jour des Adorations : Doña Mirna a une très grande responsabilité, héritée de sa mère il y a huit ans : maintenir la statuette en parfait état pour le grand jour des Adorations de l’enfant Jésus. Le reste de l’année, enveloppée dans plusieurs sacs, elle repose sur le haut de son armoire. Le grand jour, tout le village sort en procession dans les rues et va de maison en maison à la recherche de l’enfant Jésus. Lorsque les habitants l’ont trouvé, ils l’escortent jusqu’à la crèche, chaque arrêt étant ponctué de récitations de louanges, de chants et de danses, tout au long de la nuit.
Les enfants participent depuis qu’ils sont tout petits. Les anges, les soldats, les parrains, les marraines sont tous des enfants. Et pour cela, je pense que la tradition ne disparaîtra jamais, a déclaré à l’AFP Mme Rodriguez, 55 ans. Cette année, des pluies torrentielles ont forcé le report de la fête de samedi à dimanche dans ce village de quelque 5.000 habitants du département de Valle del Cauca.
Pauvreté et exclusion : Pour Balmores Viafara, un enseignant de 53 ans, le 24 décembre est un jour comme les autres, tandis que les Adorations, organisées dans ce village depuis 1880, sont une fête que nous, les Noirs/Africains, célébrons en adorant notre Dieu, à notre manière. C’est une fête de résistance, ajoute-t-il. La procession se fait sur des rythmes qui remontent aussi à l’esclavage, ramenés d’Afrique à l’époque de la colonie espagnole. Parmi eux, le vol, qui se danse les pieds liés et rappelle les chaînes qui liaient leurs pieds et limitaient leurs pas, explique le chorégraphe Olmes Larrahondo, 25 ans.
La communauté Noire/Africaine de Quinamayo et d’autres départements du Cauca et du Valle del Cauca qui célèbrent les Adorations s’est formée aux abords des anciennes haciendas, après l’abolition de l’esclavage en 1852. Comme dans toutes les régions de Colombie au passé esclavagiste, la pauvreté et l’exclusion ont laissé leur empreinte dans ces départements de la côte Pacifique.
Les Noirs/Africains représentent 20 % de la population : Les Noirs/Africains – environ 20 % de la population selon la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC) – ont particulièrement souffert du conflit armé qui ravage le pays depuis plus d’un demi-siècle. Depuis les années 1960, lorsque Cuba a cessé d’être le principal fournisseur de sucre des États-Unis après sa révolution, de grandes plantations de canne à sucre ont surgi en Colombie, et avec elles des conflits fonciers entre Noirs/Africains, populations indigènes et groupes agro-industriels.
Pour certaines communautés Noires/Africaines, les Adorations sont devenues de plus en plus un élément de résistance, explique Manuel Sevilla, anthropologue à l’Université Javeriana de Cali. Les habitants disent aussi que leurs ancêtres ne célébraient Noël qu’en février parce qu’ils n’étaient pas payés pour les récoltes auparavant. Croyances catholiques et rituels d’Afrique – chaque explication a une part de vérité, explique M. Sevilla, ajoutant que les Adorations combinent les croyances catholiques, fruit de l’évangélisation, avec des rituels d’Afrique.
La musique varie selon les supports, des percussions et du chant a capella aux groupes de violon ou d’instruments à vent, mais elle est très présente au Festival de Musique du Pacifique Petronio Alvarez et plaît aux jeunes, ce qui pourrait contribuer à réaliser le rêve de Doña Mirna que les Adorations ne meurent jamais. « Elles ne sont pas seulement une célébration spirituelle, mais une sorte de bannière culturelle, qui prend de plus en plus de force. (Souligne le professeur Sevilla) ».